Formée à l’Analyse Transgénérationnelle, Anne Camus se consacre depuis
près de 20 ans à l’étude des phénomènes de transmission de la mémoire
familiale. Elle a élaboré une méthode de décryptage originale qu’elle
pratique et enseigne sous le nom de Psychogénéalogie
Analytique.
Sortant du cadre habituel de ses consultations privées, la thérapeute
s’est intéressée à la généalogie de nombreuses figures ayant marqué
notre histoire sociale, politique ou encore culturelle. S’appuyant sur
des recherches approfondies et sur l’analyse rigoureuse
de leur ascendance, elle a mis en évidence comment les expériences
douloureuses vécues par leurs ancêtres avaient influencé leur
trajectoire en trouvant un écho inconscient dans de nombreux événements
de leur vie.
C’est précisément en étudiant l’ascendance paternelle d’Arthur Rimbaud
-celle détenant de son point de vue les éléments les plus révélateurs-
qu’Anne Camus a trouvé des indices troublants nous invitant à poser un
nouveau regard sur le parcours et l’œuvre du
poète.
L’ASCENDANCE PATERNELLE D’ARTHUR RIMBAUD
Les Rimbaud sont originaires de Haute-Saône où la présence de la famille
est attestée dès la fin du XVIIème siècle. Gabriel Rimbaud (1680-1735),
ouvrier vigneron, eut en 1730 un fils, Jean, qui va retenir notre
attention puisqu’il s’agit de l’arrière-grand-père
d’Arthur Rimbaud.
Jean exerça le métier de cordonnier. Devenu veuf, il épousa en secondes
noces en 1777 Marguerite Brotte (1752-1829). De cette union naquit
Didier (1786-1852), le grand-père d’Arthur.
Tous ceux qui se sont intéressés à la biographie du poète savent qu’à la
suite d’une querelle, Jean, alors que Didier n’avait que quelques
années, quitta le foyer familial pour ne plus jamais reparaître. Le
traumatisme de l’abandon de famille qui se répètera
à la génération d’Arthur avec le départ de son propre père alors qu’il
n’était encore lui-même qu’un tout jeune enfant, a déjà fait l’objet de
nombreux commentaires. Mais, ce que nous ignorions, c’est que certains
des comportements singuliers observés chez
le poète trouvent eux aussi leurs ferments dans ce drame vécu avant lui
par son grand-père Didier.
A ce stade, plusieurs questions s’imposent : Comment Didier a-t-il vécu
la fuite de son père parti un beau matin « (en) culotte (et) bonnet de
nuit [...] sans bas ni habit » comme il est dit dans l’acte de notoriété
établi au moment de ses noces ? Est-ce pour
conjurer le souvenir de cet épisode incongru qu’il allait par la suite
devenir tailleur d’habits ? Plus tragiquement, Didier Rimbaud avait-t-il
imaginé ce père errant sur les routes sans ressources ? Avait-il
envisagé sa mort ou était-il resté toute sa vie
dans l’attente inconsciente de son retour laissant sa psyché et celle
de ses héritiers pour longtemps hantée par le revenant ?
Selon les théories transgénérationnelles, l’inconscient familial, dans
un contexte tel que celui-ci, peut désigner un membre de la descendance
qui va s’identifier à l’ancêtre disparu et le maintenir ainsi
fictivement en vie. Ce fantasme d’identification génère
alors ce que l’on appelle par métaphore un « fantôme »…
Et le porteur de ce fantôme, avance Anne Camus, n’est autre ici qu’Arthur Rimbaud.
RIMBAUD LE MARCHEUR
Abandonnant femme et enfant, Jean Rimbaud avait subitement déserté sa
maison… A moitié vêtu il s’était envolé vers on ne sait quelle
destination…
La marche ne lui faisait pas peur, lui, dont le métier, cordonnier,
était autrefois synonyme d’itinérance. Ajoutons que l’homme était de
surcroit compagnon du devoir et qu’il avait à ce titre maintes fois déjà
sillonné les routes de France, le « voyage » étant
le fondement même de l’identité compagnonnique.
Son arrière-petit-fils Arthur, en proie dès l’enfance à l’étrange manie
de ne pas rester en place, avait on le sait, un goût addictif pour la
marche à pied. Faut-il s’étonner d’avantage d’une telle bizarrerie chez
celui dont le père, soldat dans l’infanterie,
avait peut-être avant lui déjà, répondu par la force des choses au même
besoin inconscient de marcher ?
De qui Rimbaud adolescent parle-t-il en vérité lorsqu’il évoque dans sa
composition latine « Ver erat …» // « C’était le printemps.. », ses
« membres fatigués par de longues errances »… Interea longis fessos
erroribus artus ?
Comment ne pas relever ici au passage le rapprochement prophétique des
mots « erroribus » // errances et « artus » // articulations. Ne
revêt-il pas une signification troublante lorsque l’on songe à
l’amputation qui allait plus tard mettre un terme définitif
à ses pérégrinations ? On sait l’œuvre du poète riche d’allusions
prémonitoires telles que celles-ci…
De même comment ne pas souligner l’accord phonique entre ce même mot artus et le prénom Arthur ?
Nombreux sont encore, dans les textes et les poèmes de Rimbaud, les
échos renvoyant à l’aïeul Jean, cette ombre du passé. Combien de fois
était-il à son tour parti « sur les routes […] sans gîte, sans habits,
sans pain ». (Mauvais Sang) ?
« Je m’en allais les poings dans les poches crevées ; Mon paletot aussi
devenait idéal ; » (Ma Bohème) Pour l’adolescent fugueur, le
« paletot », entendre le « par-dessus », n’existe que par l’idée qu’il
s’en fait… En rapprochant ces vers du souvenir de la
fuite de son arrière-grand-père sans « habit » -nom que l’on donnait
jadis au vêtement de dessus masculin-, ils prennent un relief des plus
symboliques, argumentant le principe de résonance dans le temps d’un
acte ancestral dommageable.
Un détail supplémentaire vient encore souligner l’identification de
« l’homme aux semelles de vent » avec son ancêtre cordonnier. On apprend
en effet que ces artisans, qui travaillaient traditionnellement sur
leur genou, étaient autrefois appelés « bijoutiers
sur le genou » en raison du nom « bijoux » donné aux clous dont ils
ferraient les semelles… Est-ce donc un hasard si c’est précisément une
tumeur du genou qui mettra un terme à la course aléatoire d’Arthur
Rimbaud, questionne Anne Camus.
En Afrique orientale où l’avait mené sa soif d’exil, dans les contrées
désertiques où il se sentait « condamné à errer » -ce sont ces mots-, il
avait déambulé sur les cailloux brûlants jusqu’à ce qu’à ce que ses
jambes ne puissent plus le porter. Jusqu’à disparaître,
définitivement cette fois.
S’achevait ainsi une existence où il s’était installé dans la peine et
dans la plainte permanente. Ne pourrait-on lire dans cette vie de
souffrance l’accomplissement d’un châtiment ? Celui auquel il avait été
condamné pour une faute qu’il n’avait pas commise ?...
Didier l’enfant abandonné aurait-il tenu pour coupable son père qui
s’était enfui ?
Arthur Rimbaud avait pourtant espéré pouvoir un jour se reposer,
« trouver une famille, et avoir au moins un fils » évoquant plus loin sa
crainte de « disparaître, au milieu de ces peuplades, sans que la
nouvelle en ressorte jamais. » (lettre à sa famille -
mai 83). Pourquoi s’était-il mis en situation de finir en effet son
existence si loin des siens ? Pourquoi avait-t-il eu besoin d’imaginer
qu’il pouvait mourir sans que jamais personne n’en sache rien si ce
n’est pour faire écho à un passé familial douloureux ?
Où, quand et comment Jean Rimbaud était-il mort ? Personne ne l’a su…
Sans preuve de son décès, sans corps à enterrer, son fils Didier n’avait
jamais pu faire le deuil de son père. Ici encore, le porteur du fantôme
devait jouer son rôle de substitut…
Arthur Rimbaud ne mourra pas en Abyssinie où il s’était installé mais à
l’hôpital de Marseille d’où partira son cercueil en direction de
Charleville renfermant le corps de « M. Jean Rimbaud » comme l’indique
le document ayant autorisé son transport.
Selon l’usage de l’époque, Rimbaud portait le dernier des prénoms qui
lui avait été attribués à la naissance. Pour l’état civil, sa mère
Vitalie Cuif avait probablement tenu à ce que ses fils reçoivent en
premier lieu le prénom de son propre père « Jean Nicolas »
auquel elle était fortement attachée. Mais pour l’inconscient familial
des Rimbaud, ils portaient d’abord et surtout l’identité de
l’arrière-grand-père disparu… Ce même inconscient familial voyait donc
en cette dépouille portant son nom celle de Jean Rimbaud
enfin matérialisée.
Et pour faire bonne mesure… les funérailles d’Arthur seront organisées à
la sauvette toujours au nom de « Jean Rimbaud » ainsi qu’en atteste le
billet d’administration des pompes funèbres.
RIMBAUD LE DÉSERTEUR
Marguerite Brotte devait divorcer de Jean Rimbaud l’année suivant sa
disparition avant d’épouser dès le lendemain un Danois nommé Fransen,
désigné sur leur acte de mariage comme « déserteur étranger» (le
Danemark étant alors en guerre contre la jeune République
Française). Deux années plus tard cet homme mourait à l’hôpital à l’âge
de 37 ans, le 23 août 1797.
Curieux hasard : c’est également un 23 août, en 1891, que Rimbaud
revient à l’hôpital de Marseille où il avait été amputé peu avant. Il y
mourra moins de trois mois plus tard âgé à son tour de 37 ans.
Autre étrange coïncidence : Rimbaud fut lui-même porté déserteur par les
autorités militaires néerlandaises auprès desquelles il s’était engagé
comme mercenaire (1876). A noter au passage la proximité géographique du
Danemark et des Pays-Bas ! On sait par ailleurs
qu’il allait, l’année suivante, faire une demande d’enrôlement dans la
marine américaine et pousser à cette occasion la provocation jusqu’à se
déclarer «déserteur du 47ème Régiment de l’armée française». Bien que ne
précisant pas l’unité à laquelle il se disait
avoir appartenu, c’est une allusion mordante que Rimbaud faisait là au
47ème Régiment d’Infanterie de Ligne dans lequel son père avait avec
zèle -lui- servi les valeurs militaires.
Ne faut-il pas désormais porter un nouveau regard sur un autre détail
également bien connu de la biographie du poète : alors que son infirmité
l’exemptait définitivement des obligations militaires auxquelles il
s’était jusque là dérobé, Arthur Rimbaud allait,
jusqu’au seuil de la mort, être hanté par la crainte obsessive d’être
envoyé en prison pour insoumission, s’estimant à ce titre réduit à
l’expatriation définitive…
Fransen n’était pas un ancêtre direct de Rimbaud mais, nous précise Anne
Camus, les charges mémorielles transmises au fil des générations sont
avant tout liées aux chocs émotionnels vécus par nos ancêtres. Comment
Marguerite et son fils Didier avaient-ils affectivement
investi cet homme venu, de fait, remplacer Jean Rimbaud sur l’échiquier
familial ? Comment avaient-ils dès lors vécu sa disparition ?
Ces questions restent posées, mais au vu de tous ces constats
troublants, il apparait évident aux yeux de l’analyste, que le beau-père
de Didier avait, quelle qu’en fut la raison, joué un rôle important
pour marquer ainsi de son empreinte l’inconscient familial
des Rimbaud.
Deux ans après la mort de son second mari, Marguerite devait épouser en
troisièmes noces un forain colporteur « sans domicile fixe » précise
leur acte de mariage. Il est saisissant de constater chez cette femme un
aussi curieux penchant pour les hommes en errance…
Comment s’étonner encore du goût prononcé de son arrière-petit-fils
Arthur pour le vagabondage ?
Quoi qu’il en soit, cette aïeule, à l’évidence, n’eut pas une existence
facile. Elle devait d’ailleurs finir ses jours dans la misère, logée par
charité et vivant d’aumône, comme le précise son acte de décès.
Didier pour sa part ira exercer sa profession de tailleur dans le Jura
où il se mariera à Dole en 1810. C’est précisément dans la branche
maternelle de son épouse, Catherine Taillandier dont il aura quatre
enfants, qu’il faut remarquer un cousin à qui, personne
à ce jour, n’avait prêté attention.
Proche du couple, Antoine Pacouret -c’est son nom- devait pourtant jouer
un rôle central dans la destinée de leur fils Frédéric né en 1814, le
futur père d’Arthur.
RIMBAUD L’INSOUMIS
La famille à laquelle appartenait désormais Didier Rimbaud pouvait
s’enorgueillir de compter dans ses rangs un héro de la Grande Armée. Le
fantassin Antoine Pacouret avait en effet courageusement prit part à
plusieurs des grandes expéditions napoléoniennes.
Ce dévouement à l’Empereur lui avait d’ailleurs valu d’être blessé au
bras et à la jambe et sa participation à la campagne de Russie, dont il
était revenu vivant, n’était pas le moindre des ses exploits. Le
glorieux combattant fut toutefois fait prisonnier
en Bohême à l’été 1813. C’est donc dans un climat d’incertitude quant
au devenir de ce parent que Didier et Catherine, à la fin de cette même
année, conçurent leur troisième fils : Frédéric.
Or, nous apprend Anne Camus, au regard des logiques
transgénérationnelles, les événements marquants survenus pendant la
période de gestation ou au moment de la naissance d’un enfant laissent
sur lui une inscription souvent déterminante. Les lois de l’inconscient
familial vont donc investir ce petit-cousin à venir de la mission de
succéder au valeureux Pacouret dont on ignorait à ce moment-là le sort.
Le moment venu, Frédéric Rimbaud, lourd du poids de sa lignée
déshéritée, va bien en effet emboîter le pas de cette figure masculine
valorisante…
C’est d’abord comme lui, à 18 ans qu’il s’engage dans le régiment
d’infanterie auquel Antoine Pacouret avait lui-même appartenu. A son
retour d’Afrique du Nord où il participa à la conquête de l’Algérie, il
obtiendra, tout comme lui encore, la Légion d’Honneur
se montrant ainsi à la hauteur de son modèle.
Mais s’il l’avait égalé, voire supplanté (il recevra, à l’âge de 37 ans,
le grade de capitaine alors qu’Antoine Pacouret n’avait jamais dépassé
celui de lieutenant), Frédéric Rimbaud n’avait toutefois pas payé, lui,
de sa chair la défense de la patrie. Une
« injustice » qui, explique Anne Camus, au regard des règles d’éthique
relationnelle inscrites dans l’inconscient familial, va réclamer
réparation. A charge pour la descendance de s’acquitter s’il le faut de
cette « dette » !
Le Capitaine Rimbaud est fait chevalier de la Légion d’Honneur deux mois
seulement avant la naissance de son second fils, Arthur. Ainsi
symboliquement désigné pour faire à son tour honneur à son clan, c’est
donc lui qui vient prendre le relai de ses deux valeureux
prédécesseurs… Arthur le bien nommé qui va devoir entretenir dorénavant
la légende du noble guerrier venu compenser les égarements passés de sa
lignée.
Le jeune prodige eut très tôt une connaissance intuitive de ces
revendications inconscientes. Du moins peut-on le supposer en lisant par
exemple la traduction d’un vers qu’il glissa dans sa composition latine
Jugurtha :
«Toi, mon fils, si tu peux triompher de la rigueur des destins, tu seras le vengeur de la patrie… »
Mais ivre de liberté et peut-être -pour ne pas dire surtout- nourri du
ressentiment qu’un fils peut éprouver à l’égard de ce père qui l’a
abandonné, Arthur Rimbaud, on le sait, refusera de s’acquitter de ce
mandat transgénérationnel. L’honneur, pas plus que
les honneurs, ne viendront donner un sens à sa vie.
Lui le pourfendeur des uniformes, le rebelle réfractaire à toute forme
d’autorité, la défense de la patrie, on sait ce qu’il en pensait : « ma
patrie se lève !... Moi j’aime mieux la voir assise : ne remuez pas les
bottes ! c’est mon principe » (lettre à G.
Izambard - août 1870)
Pourtant, le fils du capitaine Rimbaud se soumettra malgré tout aux
règles de fidélité qui le liaient à son géniteur. Sans en avoir bien
entendu la moindre conscience et au prix de tensions internes d’une
extrême violence, il réglera son pas sur celui de ses
devanciers les mimant parfois jusqu’à la caricature.
La guerre avait offert à la lignée Rimbaud des opportunités de
rédemption, la guerre va donner à la vie d’Arthur une orientation
décisive.
C’est bien en effet le climat de désordre engendré par la guerre
franco-prussienne de 1870 qui favorise la première fugue de l’adolescent
qui n’a pas encore 16 ans. Il est arrêté à son arrivée à Paris par la
police qui va le déclarer « sans domicile ni moyen
d’existence » avant de lui faire passer un court séjour en prison.
Au début de l’année 1871, la ville de Mézières vient d’être bombardée
lorsqu’il quitte Charleville occupée. A Paris où il va passer quelques
jours, la guerre civile couve et s’il ne participe pas à la Commune
c’est dans une capitale encore vibrante de ces événements
sanglants qu’il rejoint quelques mois plus tard Paul Verlaine... La
suite est connue de tous… Nous soulignerons ici que c’est un coup de
feu, celui par lequel Verlaine blesse Rimbaud à l’avant-bras, qui
précède de peu la fin de sa fulgurante et géniale carrière
d’écrivain.
Il n’a pas encore 19 ans lorsqu’il achève le seul livre qu’il aura la
volonté d’éditer : Une Saison en enfer où il nous dit avoir « vécu
partout. Pas une famille d’Europe que je ne connaisse. » A cette date,
il connaît déjà Paris, Londres et Bruxelles mais
c’est à partir de 20 ans, âge traditionnel de la conscription, que ses
voyages en Europe vont s’intensifier.
Il est bien sûr loin de se douter qu’en franchissant ainsi tant de
frontières, il reproduit l’expérience qu’avait connue avant lui Antoine
Pacouret, le Brave envers qui les Rimbaud avaient une dette. A
l’imitation de cet autre venu s’incruster dans les coulisses
de son inconscient, Arthur Rimbaud va parcourir des distances
quotidiennes comparables aux marches forcées des armées napoléoniennes.
Comme lui il va s’infliger des épreuves physiques invraisemblables,
courir des risques insensés mettant quotidiennement à
l’épreuve son endurance et sa force de volonté.
Première des destinations de cette nouvelle période de son existence :
l’Allemagne en 1875… C’est précisément en Allemagne qu’Antoine Pacouret
participa à sa première campagne au sein de la Grande Armée, celle qui
devait aboutir à la victoire d’Ulm face aux
Autrichiens le 20 octobre 1805. Rappelons que Rimbaud est né à
Charleville, un 20 octobre, dans une rue qui s’appelait à l’époque : rue
Napoléon !
De retour d’Allemagne, Rimbaud exprimera son intention d’aller se battre
en Espagne alors agitée par une guerre civile… C’est son comportement
pendant la guerre d’Espagne qui valut à Antoine Pacouret sa légion
d’honneur. L’année suivante, Rimbaud voudra se
rendre en Russie mais il sera dévalisé en Autriche et fera finalement
demi-tour. Quelques semaines plus tard, il devait signer à Bruxelles son
engagement dans l’armée néerlandaise déjà évoqué.
Arthur Rimbaud ne connaîtra donc pas comme l’ancêtre Pacouret la
sévérité des hivers russes. Mais qu’à cela ne tienne, « la tourmente
(risquant de l’) ensevelir sans trop d’efforts » (lettre à sa famille -
novembre 1877), c’est en franchissant le col du Gothard
enneigé qu’il en fera la dure expérience. La description qu’il devait
faire de son « exploit » n’est pas sans évoquer les récits de rescapés
de la retraite de Russie…
RIMBAUD LE SACRIFIÉ
Ce sera sa dernière aventure européenne. Ses pas le mèneront finalement
vers la corne de l’Afrique qui sera le théâtre des dix dernières années
de sa vie qui vont le voir s’épuiser dans de vaines entreprises
mercantiles. Seule l’aisance matérielle, pensait-il,
pouvait désormais faire de lui un homme libre. Au rythme d’harassantes
chevauchées, le voilà négociant prêt à tout pour faire fortune. La
guerre, idéalisée et source de vertus avait autrefois sorti sa lignée de
la misère, pourquoi n’assurerait-elle pas aujourd’hui
son enrichissement ?
Mettant maintes fois sa vie en péril, le fils du Capitaine Rimbaud va
profiter des troubles que connait alors l’Abyssinie pour vendre des
armes…Mais cette entreprise n’aura pas le succès escompté. Il se sera
imposé des fatigues aussi inouïes qu’inutiles et
son corps va commencer à montrer des signes de souffrance.
Au mois de mai 1891, un cancer s’étant déclaré dans son genou droit, le
coureur de chemins sera admis à l’hôpital de la Conception de Marseille
dans la salle dite -amer détail- « des Officiers ». Il y sera amputé la
semaine suivante et reviendra y mourir le
10 novembre 1891.
Il avait 37 ans. Il ne sera donc jamais capitaine comme le fut son père à
cet âge précis pas plus qu’il ne deviendra père à son tour…
Le corps est un terrain d’expression de notre inconscient. Quel message a
voulu transmettre celui d’Arthur Rimbaud mortellement touché au genou ?
L’arrière-petit-fils de Jean le cordonnier adressait-il de la sorte un
ultime et tragique signe à son aïeul défaillant
ou faut-il diriger notre regard vers l’officier Frédéric Rimbaud,
l’autre grand absent de l’histoire de cette lignée ?
Dans la dernière section de « Mauvais Sang », le poète avait théâtralisé
sa mort - son suicide pourrait-on dire - sur un champ de bataille :
« Feu ! feu sur moi ! […] Je me tue ! Je me jette aux pieds des chevaux ! »
L’honneur militaire ne connait, il est vrai, qu’une limite : celle de la
mort. S’il ne succomba pas au feu de l’ennemi, Arthur Rimbaud, sans le
savoir, consentit malgré tout au sacrifice suprême. Par cette parodie de
geste héroïque, le fils du Capitaine Rimbaud
pouvait enfin prouver à celui qui lui avait donné la vie qu’il en était
le digne héritier.
Arthur Rimbaud était contemporain de Freud né deux ans après lui.
Lorsqu’il meurt, l’existence en chacun de nous d’une vie psychique
inconsciente n’avait donc pas encore été révélée, pas plus bien sûr que
la puissance des liens transgénérationnels. Mais Rimbaud
le Voyant avait anticipé :
« C’est faux de dire : Je pense, on devrait dire On me pense (…) Je est un autre. »
Cette célèbre formule qu’il nous a léguée pourrait à elle seule résumer
la puissance des liens qui nous attachent malgré nous à nos ancêtres.
Osons aller à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui nous ont
précédés, conclue Anne Camus. C’est en connaissant
leur histoire que nous pouvons nous affranchir de son poids.
FIN