samedi 19 décembre 2015


ARTHUR RIMBAUD – ALFRED ILG, UNE RENCONTRE EN AFRIQUE.
Compte-rendu de la conférence de Chantal Moret, du 12 décembre 2015



Alfred Ilg est né en Suisse à Frauenfeld le 30 mars 1854, un peu plus de six mois avant Arthur Rimbaud. 
Il a étudié à l ‘école polytechnique de Zurich dont il sort avec un diplôme d'ingénieur.

Le roi Ménélik II, roi du Choa, et qui souhaite moderniser son pays va s’adresser à une compagnie suisse établie à Aden pour recruter un ingénieur. Pourquoi la Suisse ? Parce que c’est un des rares pays d’Europe qui ne soit pas colonisateur. Engager un ingénieur helvétique offre une garantie d’indépendance à Ménélik vis-à-vis de pays comme la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne et l’Italie qui ont déjà des implantations en Afrique et qui convoitent la région.  Alfred Ilg va postuler.  Il sera choisi.  Il quitte la Suisse en 1878 et au terme d’un voyage de neuf mois, avec de longs séjours où il est bloqué pour des raisons administratives, il arrive enfin à Ankober en 1879.


Il  faut souligner qu’au cours de la même année 1878, Arthur Rimbaud traverse la Suisse, si l’on se réfère à sa lettre du 17 novembre qui narre son voyage à pied dans « l’embêtement blanc » du col du Gothard.

En 1879, l’Abyssinie est un pays essentiellement agricole et manque d’ouvriers qualifiés. La capitale Entoto se trouve à 3200 mètres d’altitude.  Ilg, en accord avec Ménélik, la fait descendre d’un cran et commence la construction d’Addis-Abeba (nouvelle fleur), située à 2400m. d’altitude pour en faire sa nouvelle capitale.
Les premières années d’Alfred Ilg en Abyssinie sont essentiellement consacrées à dresser un état des lieux et des nécessités en infrastructures du pays, afin d’établir des plans de modernisation par ordre de priorité. Cette période permet également à l’ingénieur d’apprendre la langue, l’Amharique, qu’il parle couramment et écrit presque aussi bien au bout de trois ans. Par la suite, Ilg construira des ponts, des routes et développera les communications, services de postes, téléphones et télégraphes.

Rimbaud arrive à Aden au début du mois d’août 1880 et après une période d’essai, il est affecté à la surveillance du tri du café sous la direction d’Alfred Bardey.
Assez rapidement, Rimbaud commence à se plaindre de ses conditions de travail et de vie. Son patron, soucieux du bien-être de ses employés, propose à Rimbaud d’ aller seconder le gérant dans le comptoir qu’il vient d’établir à Harar.

Il confie aux siens son désarroi et son intention d’aller plus loin, vers Zanzibar, destination récurrente et idéale mais où finalement il n’ira jamais.  Il a perpétuellement le sentiment d’être exploité, volé, escroqué et traduit l’acrimonie contre son employeur dans ses correspondances.  


Quand on se penche sur les lettres que Rimbaud écrit, au delà de ce que cela nous apprend factuellement, on reconnaît bien son ironie quasi perpétuelle.  Le Rimbaud des années 1871-1872 maniait déjà le sarcasme, et on peut remarquer que les saillies de l'employé de Bardey et ses considérations tant sur son patron que sur les indigènes et même les affaires politiques éthiopiennes font écho au ricanement impertinent du poète lorsqu'il perturbait le dîner des Vilains Bonshommes.

Un autre écho de cette jeunesse est la facilité qu'a Rimbaud pour les langues.  Comme Alfred Ilg, Rimbaud a entrepris d’apprendre la langue locale de même que l’arabe et l’oromo.

En mars 1881, Bardey charge Rimbaud de mener des expéditions commerciales dans le pays dont il revient à chaque fois exténué, parfois malade et souvent déçu. 
En 1882, de retour à Aden, Rimbaud supporte mal le style de vie coloniale ainsi que le climat. Il est vrai qu’Aden est situé dans le cirque d’un cratère volcanique éteint mais ce n’en est pas moins une fournaise.

Dans une lettre écrite en 1883, Rimbaud confie ses souhaits de fonder une famille, d’avoir un fils qu’il éduquerait pour en faire un ingénieur. Signe que les sciences et techniques l’attirent toujours, dix ans après une « Saison en Enfer » où il mettait déjà la Science au-dessus de tout, le seul salut de l’Homme.
Il commande par ailleurs à sa mère de lui faire parvenir du matériel ainsi que des livres techniques très pointus pour ingénieur en génie civil.
Sa frustration intellectuelle l’obsède, même si on peut le soupçonner de souffrir d’un complexe de supériorité. La réalité est qu’en dehors de conversations philosophiques avec le père Joachim et l’explorateur Jules Borelli, les occasions pour Rimbaud de satisfaire sa soif de savoir sont rares.  Il songe toujours à partir pour Zanzibar, ou bien au Tonkin, ou même à Panama où le canal est en construction.

En janvier 1884, Rimbaud annonce à sa famille la fermeture de l’agence à Harar, la compagnie Mazeran, Viannay, Bardey et Cie ayant fait faillite en France.  Rimbaud se retrouve donc sans emploi à Aden.

En juillet, Alfred Bardey réussit à remonter une entreprise et reprend Rimbaud jusqu’à décembre 1884.
En janvier 1885, faute de mieux, et malgré des affaires peu florissantes, Rimbaud accepte de prolonger son contrat pour Bardey avec qui les relations se dégradent.

C’est en septembre 1885 qu’il se voit proposer un marché de ventes d’armes par Pierre Labatut dont le destinataire est le roi du Choa Ménélik. Le roi abyssin commande légalement des armes à plusieurs marchands mais les règles commerciales fixées par les Britanniques sont soumises à de fréquents changements, rendant ce commerce souvent illégal.

Pierre Labatut meurt de maladie en décembre 1886, laissant Rimbaud mener seul la livraison à Ménélik.  Et quand Rimbaud arrive enfin devant le roi en février 1887 ce dernier lui répond ne plus en avoir besoin, arguant que les armes livrées sont dépassées, mais accepte de les prendre toutefois au titre du règlement d’une dette de l’associé de Rimbaud, Labatut qui hélas n’est plus là pour confirmer ou contester. C’est une très mauvaise opération pour Arthur Rimbaud.

Ménélik a entretemps été séduit par les avances diplomatiques des Italiens et de leur ambassadeur Pietro Antonelli qui souhaitent le voir monter sur le trône d’empereur d’Ethiopie après avoir vaincu son suzerain le roi Johannès.  Les Italiens, disposés à fournir des armes modernes à prix cassés, sont des concurrents imbattables pour Rimbaud et même Alfred Ilg qui commerçait lui aussi avec le roi en lui revendant des fusils réformés de l’armée Suisse.

L’interposition des Italiens dans les affaires éthiopiennes a eu d’ailleurs pour effet d’évincer l’ingénieur suisse des affaires politiques. C’est dans ce contexte qu’Arthur Rimbaud et Alfred Ilg ont été amenés à se rencontrer à Entoto en avril 1887.

En été 1887, Rimbaud passe quelques semaines au Caire pour se reposer.  Dans une lettre à sa famille, il mentionne pour la première fois de fortes douleurs, souvent paralysantes, signes avant-coureurs de la maladie qui l’emportera.

A partir de janvier 1888, Ilg et Rimbaud entretiennent une correspondance assidue et c’est au travers de ces échanges dont le sujet tourne essentiellement autour des affaires commerciales qu’on peut mesurer leur estime réciproque.

Ilg apprécie la tournure d’esprit de Rimbaud, et a détecté chez lui un tempérament qui est pourtant assez éloigné de ce que Rimbaud montrait si on se réfère aux témoignages de ceux qui l’ont côtoyé dans ces régions.  Ilg écrit à Rimbaud depuis Zurich où il passe neuf mois en 1888.  Si nous connaissons aujourd’hui le contenu bilatéral de cette correspondance, c’est grâce à la rigueur méticuleuse d’Alfred Ilg qui recopiait en double les lettres qu’il écrivait, gardant une trace de ce qu’il avait envoyé.
Rimbaud et Ilg nourrissent des projets en communs, notamment celui de construire des usines au Choa, afin de faire travailler les Ethiopiens, et d’œuvrer à favoriser une fabrication locale.

1889 va être une année cruciale. Les Italiens ont livré leurs armes, avec 400 000 munitions à bas prix tandis que Rimbaud cherche toujours à écouler ses armes obsolètes : 1750 fusils à capsules et 20 Remington.

Le coup de théâtre va venir de la mort inattendue de l'empereur Johannès dans une opération militaire contre les rebelles Madhistes.  S’il n’y a plus de guerre, Ménélik II n’a plus besoin des Italiens.  Mais ces derniers ne se laissent pas évincer si simplement.  Le 2 mai 1889, ils font signer à Ménélik le traité d’Uccialli  qui place son pays sous la tutelle italienne grâce à une subtilité de traduction entre l’Amharique et l’Italien. Informé de l’arnaque par Ilg, Ménélik II veut faire annuler le traité.  Les Italiens refusent.  Ilg revient en grâce auprès du Négus.  Il recevra le titre de Commandeur et sera décoré de l’ordre de Salomon.  Le 3 novembre 1889, Ménélik est couronné empereur sous le titre de Négusa Nägäst (roi des rois).

Les affaires vont pouvoir reprendre mais ce n’est pas aussi simple. Dans une lettre à Rimbaud, Ilg lui explique qu’il ne peut pas vendre son « bazar » aussi facilement que Rimbaud le souhaiterait.
Ilg sait qu’il peut parler franchement avec Rimbaud et même démêler des malentendus, comme celui d’une lettre où Rimbaud demandait à Ilg de lui trouver une mule et deux esclaves pour son service. Cette lettre a fait couler beaucoup d’encre et causé la fausse réputation d’un Rimbaud esclavagiste. Ilg a de toutes façons refusé tout en rendant hommage aux « bonnes intentions » de Rimbaud.  On le sait bien, c’est plus le témoignage d’un écart de langage de Rimbaud que celui d’une activité de traite négrière, il y a un fossé entre le souhait de requérir à une paire de manutentionnaires probablement sous-payés et la traite des esclaves qui était exclusivement réservée aux Yéménites et strictement interdite aux Européens. Un blanc n’aurait pas survécu une journée si par malheur il s’était livré à ce commerce.

En 1890, Rimbaud  confie aux siens : « je me porte bien dans ce sale pays » signe que ça ne va pas si bien que ça. Il avoue se sentir vieillir et compare ses cheveux blanchis aux perruques poudrées de l’Ancien Régime. Il doit certainement ressentir des douleurs osseuses mais n’en fait pas état à Alfred Ilg.  Le mal-être de Rimbaud nous démontre qu’il poursuit indéfiniment sa route sur le « long et raisonné dérèglement de tous les sens ».  
 
En janvier 1891, Ilg annonce à Rimbaud son départ pour la Suisse, prévu à la fin mars.  Il espère rencontrer Rimbaud à Harar : « J’aurai probablement à vous proposer une bonne affaire et sûre ».  On sait que les deux hommes ne se reverront plus.  Tandis que les problèmes de santé de Rimbaud s’aggravent, il est évacué vers la côte le 7 avril 1891.

Le 20 mai, il est débarqué à Marseille où on l’ampute de sa jambe droite.
Il rentre à Roche le 20 juillet. Mais sa convalescence se passe mal, son état empire. Il retourne le 20 août à Marseille où il espère se soigner et surtout être à proximité du port pour repartir à Aden dès qu’il se sentira mieux. Mais la maladie s’est propagée et il meurt le 10 novembre, le lendemain même d’une lettre où il donnait des instructions pour son embarquement.

Alfred Ilg n’apprend le décès de Rimbaud qu’en 1892. Il en fait état dans une lettre peu empathique quant au sort de Rimbaud.

L’empereur Ménélik II donne son accord en 1894 pour la construction de la ligne de chemin de fer qui doit relier la capitale Djibouti à Addis Abeba.  La Compagnie impériale des chemins de fer Ethiopiens est fondée cette même année.  Mais les travaux vont être retardés par les Italiens qui déclarent la guerre au Négus en 1895.
Les Italiens seront défaits à la bataille d’Adoua en 1896. On pense qu’Alfred Ilg a pu jouer un rôle en faisant retarder des renforts italiens bloqués à Port-Saïd. La guerre se termine par un traité de paix entre l’Italie et l’Ethiopie dont le texte a été rédigé par Ilg.


En mars 1897, Alfred Ilg reçoit l’Etoile d’Éthiopie, plus haute distinction de l’époque.  Seuls deux autres étrangers, un Français et un Russe, en ont été honorés.  La même année, les travaux commencent enfin, mais les difficultés s’accumulent.  Les ouvriers abyssins qui viennent des hauts plateaux d’Éthiopie peinent dans le désert plat et rocailleux où le premier tronçon est construit.  La construction est coûteuse, et la France qui finance n’est pas très motivée puisqu’elle n’est pas directement concernée en tant que pays colonisateur dans cette région.  Les puissances européennes voient aussi d’un mauvais œil l’œuvre d’ Alfred Ilg, un ingénieur indépendant de son pays, et qui permet à Ménélik de s’affranchir de l’influence des pays colonisateurs, d’autant que Alfred Ilg s’est fait offrir par l’empereur des terrains à chaque extrémité de la ligne, coupant l’herbe sous le pied aux convoitises extérieures.  Soucieux de cette délicate situation diplomatique, le Négus ne se rendra pas à l’inauguration du premier tronçon (Djibouti-Diré Daoua) en 1903.

Alors que les travaux du deuxième tronçon doivent débuter, la France marque le pas dans le financement. Sentant là une opportunité de s’implanter dans la région, les Britanniques se manifestent, ce qui va réveiller l’intérêt des Français, fondant dans la foulée la Compagnie Impériale du chemin de fer Franco-Ethiopien.  La reprise effective des travaux a lieu en 1911 avec le tronçon allant de Dire Daoua à Haouache.  Le pont ferroviaire sur l’Haouache est l’œuvre d’Ilg.
Le dernier tronçon sera achevé et la ligne Djibouti-Addis Abeba, inaugurée le 9 mai 1917 ce qu’Alfred Ilg ne connaîtra pas car il meurt en Suisse le 7 janvier 1916 à 61 ans.  La construction de la ligne de chemin de fer reste la grande ambition et la grande œuvre d’Alfred Ilg.  Il en est le concepteur. 

 Ce sont les lettres échangées entre Alfred Ilg et Arthur Rimbaud qui ont permis de reconstituer la nature de leurs relations, qu’elles soient amicales ou professionnelles. Elles éclairent également le contexte géopolitique et social dans lequel les deux hommes ont évolué. Toutes ces lettres ont été conservées par la famille d’Alfred Ilg.  Celles de Rimbaud à Ilg ont été remises en 1959 par son petit-fils, Dieter Zwicky à Jean Voellmy qui a entrepris de les étudier.

Les recherches ont consisté notamment à approfondir certaines informations et identifier les noms de toutes les personnes citées par Rimbaud et par Ilg.  Plus tard, Mme Zwicky-Ilg, fille d’Alfred Ilg, a remis à Jean Voellmy les lettres de son père (qu’il recopiait toujours) à Rimbaud.  Parmi celles-ci, se trouvait une lettre de la main de Rimbaud datée d’avril 1890, encore cachetée et qui portait sur l’enveloppe la mention en allemand « N’a pas été délivrée par ordre de R. »
Jean Voellmy l’a ouverte le plus soigneusement possible et a pu la lire.

Rimbaud y réclamait encore 4000 thalaris en dédommagement de sa mévente de fusils.  Il recevra à la place 11480 kg de café qu’il ne savait pas comment écouler correctement et 675 fraslehs.
En 1965, Jean Voellmy a publié la correspondance d’Alfred Ilg et Arthur Rimbaud.  Cette correspondance, revue en 1995, figure aujourd’hui intégralement dans la dernière édition de la Pleïade.










mardi 16 juin 2015

Album souvenir du Marché de la Poésie 2015

Un temps superbe sur un emplacement sublime !

Jacqueline Teissier-Rimbaud en pleine forme !
Jacqueline plongée dans la lecture de Rimbaud
cette année, 25 numéros différents de la revue Rimbaud Vivant étaient présentés, du n°31 (1992) au n°53 (2014)




La table des amis de Rimbaud, avec au fond une grande affiche apportée par Jacqueline Teissier-Rimbaud



Carole Galtier, Maria Carrilho et Giovanni Dotoli


Giovanni Dotoli en pleine promotion de ses écrits.


Tous les jours, des visiteurs....

Pierre Brunel examine à la loupe une photo qu'on lui présente, sous l'oeil sceptique de Giovanni Dotoli

Au premier plan, on examine toujours la photo, et au second plan, Pierre Brunel et Giovanni Dotoli en grande conversation.

Sur la cloison du stand, une mosaïque d'illustrations autour de Rimbaud

Sur la cloison du stand, l'accent a été mis sur le thème de Harar et Djibouti avec des reproductions agrandies de cartes postales anciennes. 


mercredi 10 juin 2015

 Voilà; nous sommes installés au Marché de la Poésie, de mercredi jusqu'à dimanche. Venez nous retrouver sur le stand 603-605.









dimanche 22 mars 2015

"RIMBAUD ET LA GUERRE" une conférence de Pierre Brunel, le 21 mars 2015

Compte rendu par Sylvain Delbès de la conférence du 21 mars 2015 de Pierre Brunel sur le thème 
"RIMBAUD ET LA GUERRE"  



Avec « Rimbaud et la guerre »,  Pierre Brunel nous présente un sujet si peu traité qu’on peut même le qualifier d’inédit parmi toutes les études consacrées au poète .
Il s’agit tout d’abord de chercher l’occurrence du mot et les différentes allusion à la guerre et ses corollaires dans l’œuvre de Rimbaud, ainsi que dans ses correspondances.

Pierre Brunel commence son exposé avec un des poèmes publiés du vivant de Rimbaud « Les corbeaux »,  en 1872 dans La Renaissance Littéraire & Artistique. 
Présenté comme patriotique, il a été retenu parmi d’autres pièces que Rimbaud avait envoyées à la revue. Le traumatisme encore récent de la guerre peut expliquer que le poème « Les corbeaux » ait été préféré à celui, pourtant plus novateur  « Les Voyelles ».  Le thème central est la nature dévastée par la guerre. Les corbeaux peuvent évoquer les soldats prussiens qui ont chassé les fauvettes de mai. L’hiver destructeur, vision symbolique de la guerre, se substitue à l’ambiance printanière d’un pays en paix.  

Pierre Brunel propose un petit retour en arrière, vers 1864, en examinant dans « le cahier des dix ans » un texte qui ressemble à un brouillon d’écolier pour une rédaction. Dans le prologue, Arthur Rimbaud cite un officier imaginaire, né à Reims dont il décrit la physionomie et le tempérament. Il est alors frappant d’observer les similitudes de ce personnage avec le père de Rimbaud, Frédéric, né en 1814, et qui partit pour la guerre de Crimée en 1855, un an après la naissance d‘Arthur. Le père est militaire de carrière toujours en opération extérieure qui ne revient qu’épisodiquement, notamment pour faire des enfants à son épouse. Âgé de 6 ans à peine, Rimbaud le verra une dernière fois en 1860, au moment de la naissance d’Isabelle, le dernier enfant du couple. Après cela, le militaire abandonne sa famille pour toujours et après un long séjour en Afrique du Nord, meurt à Dijon en 1878, au moment même où Rimbaud embarque à Gênes pour Alexandrie.

Ces exemples soulignent les liens permanents entre l’existence même de Rimbaud et la guerre.

Dans une lettre adressée à Théodore de Banville, en mai 1870, Arthur fait allusion au printemps. Mais dans le contexte géopolitique du moment, on ne peut croire que Rimbaud se limite à l’aspect bucolique de la saison. Il y a alors une forte présomption de la guerre qui va éclater. En effet, depuis 1866, la guerre menace. Bismarck mène ses guerres préparatrices en Allemagne, et notamment contre l’Autriche. Napoléon III,  le premier à s’inquiéter de cette menace, déclenche le conflit. Le 14 juillet, mobilisation générale, puis fin juillet, déclaration de guerre à la Prusse.

En pleine guerre, Rimbaud fugue à Paris et son escapade se termine dans la prison de Mazas où il aurait écrit le poème « aux morts de Valmy » dans lequel il moque l’engagement patriotique et l’incohérence des Cassagnac, rédacteurs du journal « Le Pays » quand ils exhortent les Français de 1870 à se souvenir de leurs pères, morts en 1792 et 1793 lors des guerres menées par la Convention à Valmy, Fleurus et en Italie contre les ennemis de la France.
Selon Rimbaud, cela consiste à réveiller les morts de la République pour encourager les vivants sous le règne de l’empereur Napoléon III à se battre contre un autre roi, celui de Prusse.

Dans le poème « Le Mal », c’est Dieu qui est la cible des griefs de Rimbaud. Voilà un dieu dormant, que Pierre Brunel est tenté de surnommer le « Dormeur du Mal » qui ne se réveille que pour toucher l’obole que lui versent des mères éplorées par la perte de leur enfant.

Cette saillie antireligieuse est à opposer à la vision christique du Dormeur du val, figure de la Passion, avec ses deux trous rouges au côté droit, ainsi qu’au « million de Christs aux yeux sombres et doux »  les soldats « morts de Valmy ».

A propos de l’identité du dormeur du val, le poème ne précise pas s’il porte l’uniforme français ou prussien.
A la même époque, le poète Théodore de Banville, avec qui on l’a vu, Rimbaud est en contact,  a écrit un poème en allusion à un soldat prussien mort. C’est un soldat mort, et quel que soit le camp, la guerre tue des jeunes gens.

 Après son séjour à Douai, le mot « guerre » apparaît clairement en post-scriptum dans une  lettre adressée à son professeur Georges Izambard datée du 2 novembre 1870. Il critique l’attitude des habitants de Charleville, de leur patriotisme ridicule, et des velléités de franc-tireur de certains dans l’attente du siège de Charleville, qui ne surviendra que le 31 décembre 1870.


Si les griefs de Rimbaud contre la guerre sont récurrents, ils ne résument pas la position unique de Rimbaud.
Son ami, Ernest Delahaye, en témoigne dans les conversations qu’il a eu avec Arthur, alors qu’ils marchaient ensemble dans la campagne ardennaise, réussissant à s’éloigner un peu  de la guerre sévissant dans les deux villes voisines de Charleville et Mézières. Rimbaud se montre également partisan d‘une nécessité de « destruction absolue », causée par la guerre.
Est-ce pour rebâtir un monde neuf ? 


Pourtant lors de son séjour parisien en février-mars 1871, il visite les librairies et déplore que toute la littérature qui paraisse soit entièrement consacrée à la guerre qui vient de s’achever. Dans sa lettre du 17 avril 1871 à Paul Demeny, Rimbaud dresse une bibliographie critique et quasi exhaustive des publications du moment.
Seuls les dessins et gravures satiriques trouvent grâce à ses yeux. Il se range alors clairement dans le camp de la dérision plutôt que de la célébration.

Parmi les trois poèmes qui accompagnent la version de la « lettre du Voyant », adressée à Paul Demeny en 1871 se trouve « Le chant de guerre parisien ».
Sauf qu’il ne s’agit plus de la guerre contre la Prusse, mais de la guerre civile, surnommée la Commune, qui vient d’éclater à Paris avec l’armée de Versailles envoyée pour réprimer les insurgés par Thiers,  nommément cité dans le poème.
Rimbaud se montre constant et cohérent dans son exécration de la guerre.

En 1872, dans une des premières versions de l’Eternité, l’expression « âme sentinelle »  emprunte au vocabulaire militaire sa notion de guetteur.
Le poème disparu « les veilleurs » surnommé par Verlaine comme le chef d’œuvre inconnu de Rimbaud est évoqué plus tard comme une possible allusion à cette notion de vigilance guerrière.
D’autres thèmes comme la faim et la soif, celle des soldats en caserne, par exemple, sont présents dans l’œuvre de Rimbaud, beaucoup plus tard, en octobre 1875, dans une lettre à Ernest Delahaye: « on a faim dans la chambrée …».
Entre plusieurs noms de fromages, le nom de Keller est cité et fait référence au député qui s’était opposé en vain à la perte de l’Alsace et la Lorraine au profit de l’Allemagne.

En 1873, dans une « Saison en enfer », le passage intitulé « Mauvais sang » est entièrement consacré à la guerre, et illustre le sort du pauvre bougre envoyé au front qui n’a pas d’autre issue que de se sacrifier en menant « la vie française » , il doit mourir en suivant « le sentier de l’honneur ».

Pierre Brunel nous fait observer que la guerre est dans l’œuvre de Rimbaud comme dans sa vie.

Rimbaud a aussi connu la guerre « avec l’autre », c’est-à-dire Verlaine, leur relation tumultueuse et violente s’est terminée dans le sang et de surcroit avec l’aide d’une arme à feu. 

Il y a également la « guerre en moi », manifestée par la formule « Je est un autre ».  La lettre du voyant illustre parfaitement cette guerre déclarée à lui-même. Il doit chasser ou détruire cet autre lui-même, afin d’installer par la force un « nouveau moi ». 
Le poète se fait voyant par un long et immense dérèglement de tous les sens dit Rimbaud. Ce remplacement de lui-même est brutal. 

Il existe bien des contradictions dans la vie de Rimbaud vis-à-vis de la guerre.

 C’est le même Rimbaud qui fuit incessamment le service militaire mais qui s’engage dans l’expédition hollandaise de Batavia.  Il désertera peu après vers Java.
Dans ses lettres, Rimbaud raconte qu’il a eu le projet de s’engager dans la marine américaine et s’est présenté à cet effet comme un militaire du même régiment que son père.

Depuis Harar en Abyssinie, Rimbaud moque la folie des pays Européens qui ont englouti des millions pour disposer de ports dans la Mer Rouge pour un intérêt stratégique dérisoire.
Mais lui-même ne s’est-il pas investi corps et âme dans un trafic de fusils avec le roi Ménélik ?

Un poète antimilitariste se faisant marchand d’armes, voilà qui montre une fois de plus la richesse et la complexité de ce sujet, et telle est la conclusion de la conférence de Pierre Brunel.


Je me permets d’intervenir à la fin de cette conférence en évoquant une piste non explorée au sujet du « rêve de Bismarck», publié dans le Progrès des Ardennes en 1870 sous le pseudonyme de Jean Baudry. 
Évidemment l’incertitude de l’issue de la guerre justifie le choix d’un nom d’emprunt. Si les Ardennes devaient être un jour sous le joug allemand, il ne valait mieux pas se vanter d’avoir critiqué Bismarck dans une publication.
En l’occurrence, Arthur Rimbaud est un habitué des noms d’emprunts tel Alcide Bava.  


Je fais remarquer que Baudry est le verlan littéral de ribaud. Outre la coïncidence de l’assonance manifeste avec Rimbaud, je veux étayer ma théorie avec les  trois définitions du mot ribaud tirées du Larousse du XIXème, dont chacune peut prendre sens avec la personnalité du poète. 


Le ribaud désigne à cette époque une personne débauchée qui fréquente les lieux mal famés comme les maisons de prostitution. Le mot vient du moyen-âge et désignait d’abord un  soldat de la garde de Philippe Auguste chargée de sa sécurité, et armé de gourdin. 


Puis au XIVème et XVème siècle, le ribaud est l’officier de la maison du roi à la fois chargé de la police intérieure du palais et de la surveillance des maisons de jeu et de prostitution. 


Enfin, la plus intéressante des définitions pour le sujet traité arrive en troisième position et s’applique aux aventuriers qui suivaient les armées en quête de pillage, bref un pilleur et un possible détrousseur de cadavre de soldat. 


Le caractère franc-tireur de l’article n’est pas étranger, selon mon point de vue, au choix malicieux par Rimbaud d’un pseudonyme ayant ce double-fond dans la symbolique, et qui se rattache une fois de plus à la thématique du jour. Enfin, je rapproche ce souci du pseudonyme à l’éternelle fuite de Rimbaud, toujours inquiet d’être rappelé à ses obligations militaires, même estropié, et qui entre à l’hôpital de Marseille sous le nom de Jean Rimbaud.
 

Pierre Brunel accueille favorablement cette hypothèse.


 


jeudi 12 mars 2015

Association Internationale des Amis de Rimbaud




 Chers amis et visiteurs.
le blog des amis de Rimbaud a pour objectif de prendre  le relais du site internet officiel de l'association qui est en maintenance prolongée, et ce pour une durée indéterminée.

Je tacherai donc de communiquer toutes les informations utiles. Les dates des grands rendez-vous de l'Association Internationale des Amis de Rimbaud.